Les 7 Soleils

"Et puis, pensez donc : Saint-Nazaire, le port, les quais, l’océan, le vent du large, les embruns qui vous fouettent le visage..."
Archibald Haddock - Les 7 Boules de Cristal

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Il y a 25 ans

Le retour de Tintin à Saint-Nazaire

mercredi 29 avril 2020

Il y a 25 ans, le 14 janvier 1995, Tintin revenait à Saint-Nazaire.
Avec le dévoilement, près de la gare, de l’agrandissement sur métal émaillé d’une vignette tirée de l’Épisode nazairien des 7 Boules de Cristal le projet de l’association Les 7 Soleils s’inscrivait dans la réalité.

Voici le texte corrigé avec les accents français appropriés :

©Hergé/Moulinsart

En ce samedi matin frisquet, il y a foule au sortir du pont franchissant la ligne de chemin de fer. Enfants des écoles, adultes, tintinophiles ou non, édiles et autres élus se massent le long du trottoir bordant la voie donnant accès à l’entrée nord de la ville. Objet de tous les regards : un grand panneau de 5 m par 4,70 m caché par une toile sur laquelle est annoncé depuis quelques jours l’événement : Tintin revient ! Le retour du reporter est attendu pour 11 h.

Difficile d’ignorer ce retour. Saint-Nazaire Magazine, le mensuel d’information municipal, a fait la couverture de son numéro de décembre 1994 avec un montage montrant la Lincoln Zephyr jaune faisant son entrée dans le Saint-Nazaire d’aujourd’hui. "Tintin à Saint-Nazaire, le retour" a titré Ouest-France dans son édition du week-end de Noël. Tintin arrive ! claironnent de leur côté Presse-Océan et L’Éclair, tandis que l’hebdomadaire L’Écho de Saint-Nazaire et de la Presqu’île de Guérande prédit, dans son numéro du 30 décembre 1994, que Saint-Nazaire " lui rendra un fabuleux hommage le 14 janvier prochain ".

La nouvelle n’a pas été réservée aux seuls habitants de la région nazairienne et de la presqu’île guérandaise. Le jeudi soir qui précède l’inauguration, les téléspectateurs de Nulle Part Ailleurs, la célèbre émission de Philippe Gildas diffusée en clair sur Canal + entre 1987 et 2001, découvrent à quoi ressemblera ce premier jalon du parcours reconstitué de Tintin, Haddock et Milou.

Nulle part ailleurs

La première partie de Nulle part ailleurs est animée par Jérôme Bonaldi. " Savez-vous dans quel port français Tintin, Haddock et Milou retrouvent le général Alcazar alors que celui-ci embarque pour l’Amérique du Sud ? " demande Bonaldi. Et il livre la réponse : " À Saint-Nazaire ! ".

La caméra prend de la hauteur et découvre, tapissant le sol du studio, le panneau en métal émaillé qui sera inauguré le samedi à Saint-Nazaire et auquel il manque une pièce. Bonaldi se lève, prend l’élément manquant qui était caché à ses pieds et vient compléter le puzzle.

L’effet Bonaldi — variante de l’effet Murphy ou loi de la tartine beurrée — qui veut que, bien que répétées avec succès, ses présentations ratent souvent au moment du direct, a épargné le dessin de Hergé. La séquence fait mouche. Le visuel brille de toutes ses couleurs sous les feux de la rampe ! Bonaldi annonce le retour de Tintin à Saint-Nazaire pour le surlendemain. Coïncidence, ce même soir, un tintinophile de haut vol intervient dans l’émission : le chanteur Renaud.

Ce " coup de com- " a été possible parce que la Fondation Hergé avait répondu favorablement à la demande de Jean-Michel Seurin, le PDG d’Euremalco, l’émaillerie choisie pour réaliser ce premier visuel, de disposer d’un second exemplaire du panneau qu’il souhaite installer comme illustration de son savoir-faire dans ses ateliers de Belleu, près de Soissons. Quand l’association Les 7 Soleils lui a proposé d’apporter, pour le temps d’une soirée, les vingt éléments constituant le visuel, Jean-Michel Seurin n’a pas hésité une seconde.

Les Oranges bleues

Pendant ce temps, à Saint-Nazaire, on achève le montage du panneau. L’équipe de La Serrurerie nazairienne, menée par René Courbet, son patron, verrouille les derniers éléments sous le regard de Bernard Sébilo, l’ingénieur en chef de la ville de Saint-Nazaire, maître d’œuvre du projet. Le responsable de l’agence locale des Grands Travaux de Marseille, qui a fourni le béton sur lequel s’ancre le panneau, André Libal, suit l’opération. Le vent violent qui a soufflé ces derniers jours a mis l’installation à l’épreuve. L’ensemble a très bien tenu sous la bourrasque.

©Hergé/Moulinsart

Ce samedi matin, bien avant 11 heures, on se presse autour du panneau voilé. Par-dessus les têtes dépasse la bannière de l’Harmonie de Moulinsart. Car l’Harmonie est là, au grand complet, solennelle : casquettée, cravatée, musiciens et musiciennes en veste bleue, pas exactement composée comme on l’a connue dans Les Bijoux de la Castafiore. Des femmes en font aussi partie, signe d’un changement de génération...

En vérité, ses membres masculins et féminins appartiennent à l’Orchestre d’harmonie de Saint-Nazaire et sont dirigés par son chef, Bruno Yviquel, enseignant au conservatoire de musique. Les casquettes ont été prêtées par une clique d’une commune du sud-Loire, les vestes viennent de l’entreprise où travaille Patrick Perrin, le président de l’Orchestre d’harmonie. Quant à la bannière, c’est ni plus ni moins celle brandie par l’Harmonie de Moulinsart à la fin du film Les Oranges bleues. Elle a été apportée par Philippe Goddin, secrétaire général de la Fondation Hergé, arrivé la veille.

L’accord donné à l’association Les 7 Soleils par Fanny Rodwell, présidente de la Fondation Hergé, pour la réalisation de cet hommage à Hergé remonte à mars 1987. Après une première tentative inaboutie, faute de partenaires financiers, l’association avait remis l’ouvrage sur le métier en 1992.

L’interlocuteur des 7 Soleils à la Fondation Hergé est Philippe Goddin (photo ci-contre). Il est déjà venu à Saint-Nazaire à la fin de 1991 pour mettre en place l’exposition Le Monde de Tintin, dont il a été le concepteur. Présentée du 3 décembre au 3 janvier 1992 au Paquebot, le nouvel immeuble commercial de l’avenue de la République, l’exposition a reçu 22 000 visiteurs qui, à cette occasion, ont pris connaissance du projet Tintin à Saint-Nazaire.

Une œuvre classique

L’exposition s’est terminée avec un résultat financier appréciable. Une partie de la somme a été investie dans l’équipement du voilier Pachacamac, dont on a pu découvrir la maquette à l’exposition et qui prendra, à la fin septembre 1993, le départ de la 9e Mini-transat. Et l’association a pu missionner un jeune architecte : Stéphane Tardif. Formé à l’école d’architecture de Nantes, Stéphane Tardif a consacré son diplôme de fin d’études à la reconstruction de Saint-Nazaire. Tintinophile, il adhère avec passion au projet dont il devrait assurer la maîtrise d’œuvre.

Mais Stéphane Tardif est l’absent de cette matinée inaugurale du 14 janvier 1995. Plongé dans le coma depuis un accident cardiaque survenu au cours de la nuit du 11 au 12 septembre 1994, il est depuis hospitalisé. Il ne sortira pas du coma, qui connaîtra un mortel épilogue le 10 janvier 1996.

L’Harmonie de Moulinsart lance ses notes. La foule se resserre autour du panneau voilé. Gaston Sézary, qui a préparé l’arrêté municipal sur la circulation, discute avec Dupond et Dupont.

Pour les deux policiers, c’est aussi un retour à Saint-Nazaire. On se souvient qu’au début du Temple du Soleil, l’album qui fait suite aux 7 Boules de Cristal, envoyés par la police de Saint-Nazaire, ils retrouvent sur les quais de Callao, au Pérou, Tintin, le capitaine Haddock et Milou.

Époque fondatrice

Au micro, Jean-Claude Chemin, président des 7 Soleils, remercie d’abord Mme Fanny Rodwell pour la confiance dont elle témoigne à l’égard du projet nazairien, et Philippe Goddin, qui a accompagné sa mise en place depuis Bruxelles — c’est lui qui a défini le design des panneaux.

Le président Chemin explique les raisons de cet hommage rendu à Hergé : " Son œuvre est devenue une œuvre classique ". Il cite l’écrivain italien Italo Calvino pour qui " un classique est un livre qui n’a jamais fini de dire ce qu’il a à dire ". "En l’occurrence, cette œuvre dit quelque chose de Saint-Nazaire " , souligne-t-il. Car si Hergé y fait passer Tintin, Haddock, Milou et le général Alcazar, et

, malgré lui, le professeur Tournesol, c’est parce que leur créateur a pris en compte le fait que le port était la tête de ligne des paquebots de la CGT (Compagnie générale transatlantique) à destination de l’Amérique centrale et, via le canal de Panama, le Pérou et Callao.

La ligne a définitivement cessé son activité avec la Seconde Guerre mondiale, la base sous-marine venant recouvrir le bassin où s’amarraient les paquebots. Saint-Nazaire sort du conflit détruite à plus de 85 %. De la période transatlantique, il ne reste plus que les vestiges de l’ancienne gare ferroviaire et des noms de rues rappelant les escales desservies par les paquebots qui partaient de Saint-Nazaire : Santander, La Havane, Mexico, Veracruz...

Ainsi, souligne le président des 7 Soleils, " Hergé permet à Saint-Nazaire de retrouver la mémoire d’une époque fondatrice ". L’ouverture, en 1862, de la ligne régulière a en effet été immédiatement accompagnée de l’implantation d’un chantier de construction navale dans lequel la CGT fera construire la quasi-totalité de ses paquebots. Si, aujourd’hui, Saint-Nazaire continue de livrer de grands navires, c’est bien en s’inscrivant dans cette filiation.

Rien d’étonnant à ce que les Chantiers de l’Atlantique figurent aux côtés de la Ville de Saint-Nazaire et de GTM, dans le financement (200 000 F, soit 42 000 €) de ce premier jalon. À son inauguration, le chantier est représenté par son directeur général, Jean-Noël d’Acremont, la ville par son maire Joël Batteux et GTM par André Libal.

Du plus bel effet

L’autre argument invoqué par Les 7 Soleils en faveur de son projet concerne les retombées en termes d’image et de renommée que peut apporter à Saint-Nazaire le fait de se trouver associée au personnage de Tintin. Tintin, c’est la jeunesse, le courage, l’initiative. Et c’est un formidable ambassadeur : ses aventures sont alors publiées à plus de 200 millions d’exemplaires et traduites en une cinquantaine de langues. " Sur tous les continents, grâce à Hergé, par l’imagination, on a parcouru en compagnie de Tintin les quais nazairiens. Nous affirmons que Saint-Nazaire existe ! "

Vient le moment du dévoilement. La bâche tombe aux accents généreux de l’Harmonie de Moulinsart. Le visuel apparaît, magnifique, salué par les applaudissements. À bord de la superbe Lincoln Zephyr jaune du capitaine Haddock, Tintin fait son retour à Saint-Nazaire ! Le projet des 7 Soleils vient d’entrer dans la réalité...

©Hergé/Moulinsart

L’événement a été largement couvert par les médias, y compris nationaux (ci-dessus dans Le Journal du Dimanche 22-01-95). D’une certaine manière, ce premier jalon tient lieu de prototype : la démonstration est faite qu’il s’agit d’une belle réalisation et qu’elle fait parler en bien de Saint-Nazaire. Les arguments seront convaincants puisque les jalons 2 et 3 — installés dans le quartier de Penhoët et entre les deux bassins du port — viendront en mai 1996 prolonger le parcours.

Quelques jours après l’inauguration, une carte de Mme Fanny Rodwell parvient à l’association Les 7 Soleils. " Il paraît que la première plaque Tintin est du plus bel effet ! Sûrement mon mari et moi viendrons voir cela de près ! " écrit la présidente de la Fondation Hergé. " Encore bravo à vous... "

(À suivre...)