Les 7 Soleils

"Et puis, pensez donc : Saint-Nazaire, le port, les quais, l’océan, le vent du large, les embruns qui vous fouettent le visage..."
Archibald Haddock - Les 7 Boules de Cristal

Accueil > Actu 7 Soleils > Hergé, lignes de vie

A la médiathèque de St-Nazaire samedi 8/12

Hergé, lignes de vie

Philippe Goddin présentera sa monumentale biographie du créateur de Tintin

jeudi 8 novembre 2007, par Jean-Claude Chemin

 Le livre de Philippe Goddin dresse un portrait sans complaisance du créateur de Tintin. Discret et pudique, Hergé dissimulait sous une apparence lisse un être complexe et profondément humain.
 Invité par Les 7 Soleils, Philippe Goddin présentera cet ouvrage indispensable à la médiathèque de Saint-Nazaire le samedi 8 décembre 2007 à 15 heures.

Sous le regard d’Hergé : Fanny Rodwell et Philippe Goddin.
(Photo J.-C. Ch.)

“J’ai longtemps refusé d’écrire cette biographie. J’avais l’impression que tout avait été dit” confesse Philippe Goddin.

Mais quand les éditions Moulinsart lui ont demandé de travailler sur ce projet, en vue de la célébration du centenaire de la naissance du créateur de Tintin, Philippe Goddin s’est replongé dans les témoignages, documents et souvenirs collectés par lui depuis plus de trente ans : “Alors je me suis dit que je pouvais me risquer à approcher l’homme, l’homme plutôt que le créateur. Quand une oeuvre est aussi connue, il y avait sûrement des choses à connaître sur ce Georges Remi qui se cachait derrière Hergé”.

Philippe Goddin est sans conteste le meilleur connaisseur de l’oeuvre d’Hergé. L’imposante Chronologie d’une oeuvre, ce “musée de papier” qui en est à son cinquième volume, lui vaut le titre indiscuté d’hergéologue.

Philippe Goddin rencontre Hergé pour la première fois en 1974, Hergé avec qui il entretient alors une correspondance depuis un an. Cette fréquentation de l’univers du créateur de Tintin va se poursuivre après la mort de celui-ci en 1983.

C’est ainsi que Philippe Goddin devient secrétaire général de la Fondation Hergé en 1989, fonction qu’il assurera pendant dix années, rassemblant les archives et lançant un important travail éditorial.

Carte blanche

Une biographie de plus ? Une biographie officielle ? La biographie autorisée ? “Il ne s’agit surtout pas d’une hagiographie" répond Didier Platteau, directeur éditorial de Moulinsart. "Fanny et Nick Rodwell nous ont laissé carte blanche. Cette bio a été écrite de manière totalement indépendante, sans complaisance aucune. Elle s’appuie sur une documentation pour beaucoup inédite. Tout a été fouillé, recoupé, vérifié. C’est un portrait très précis, tant de l’artiste que de l’homme, qui couvre toutes les périodes de sa vie, et en particulier l’enfance occultée dans les précédents livres. C’est Hergé dans toute sa richesse, sa complexité, ses contradictions”.

En exergue à son livre Philippe Goddin a choisi de mettre cette phrase de Marguerite Yourcenar : “Quoiqu’on fasse, on reconstruit toujours le monument à sa manière. Mais c’est déjà beaucoup de n’employer que des pierres authentiques”.

Le monument a, ici, la forme d’un ouvrage de plus de 1000 pages dont pas moins de 200 sont réservées à l’iconographie en majorité composée de documents inédits. Son sous-titre : Lignes de vie.

Pas rectiligne

Lignes de vie, pourquoi ce pluriel ?

“Pour celui que l’on a qualifié de maître de la ligne claire, l’association est évocatrice, explique Philippe Goddin. Mais une ligne n’est pas forcément rectiligne”.

1964 : Hergé au travail sur la nouvelle version de L’Ile Noire.
(Collection Studios Hergé)

Son livre s’organise en trois grandes parties : ligne claire, ligne brisée, lignes parallèles, recouvrant chacune trois grandes périodes de la vie d’Hergé.

“La ligne claire, c’est cette période qui le conduit jusqu’à l’approche de la quarantaine, une époque où tout à l’air d’aller bien. Puis vient celle de la ligne brisée, la période de l’après-guerre marquée par un grand désarroi. Enfin, à partir des années soixante, celle des lignes parallèles, ligne de vie d’Hergé et ligne de vie de Georges Remi qui peuvent désormais coexister, une période de grande maturité où la vie privée devient plus importante”.

Derrière ce découpage, le portrait se fait très nuancé. “Des déséquilibres, Hergé en a connu tout le temps, souligne Philippe Goddin. Quand il rencontre Germaine, avant qu’elle ne travaille au XXe Siècle, il est un jeune homme pas sûr de lui, et il vit d’abord cette rencontre en amoureux transi”.

Sur cet aspect de la vie intime d’Hergé, Philippe Goddin corrige un certain nombres d’affirmations. Il s’appuie en particulier sur les carnets personnels de Germaine, que nul n’avait lu avant lui.

De même qu’il rectifie la manière dont étaient racontés jusqu’ici les débuts de sa relation avec Fanny, jeune coloriste des studios qui deviendra sa seconde épouse.

Controversés

Philippe Goddin apporte des éclairages importants sur des aspects controversés de la vie du créateur de Tintin, en particulier sur son attitude durant la seconde guerre mondiale : “Hergé se considérait comme un patriote intègre. Il a toujours eu le sentiment de faire son devoir et d’agir en honnête homme”.

Ainsi, il ne comprend pas les reproches, faits dès 1941 par son ami Philippe Gérard, de publier ses dessins dans le Soir volé -Philippe Gérard qu’il caricaturera en prophète Philippulus dans L’Etoile mystérieuse. De même qu’il ne comprendra pas, à la Libération, qu’on puisse lui faire grief d’avoir donné des gages à l’ennemi.

“Je me suis efforcé d’apporter le plus possible d’éléments éclairants, significatifs mais en me refusant à juger, même si j’ai pu me sentir mal à l’aise devant certaines options prises par Hergé, explique Philippe Goddin. Je suis de ceux qui croient que la vie d’un homme est faite de victoires et de défaites, de choix qui ne sont pas toujours forcément heureux. Je n’ai pas voulu le juger mais j’ai cherché à le situer dans son temps”.

Ainsi de la polémique actuelle à propos de Tintin au Congo : “Quel sens cela a-t-il de voir une oeuvre, une création à la lumière de ce que nous sommes et de ce que nous savons aujourd’hui ? Il est indispensable de prendre en compte le contexte dans lequel l’oeuvre a été édifiée, l’état d’esprit, le milieu social, politique, du moment”.

Le fantôme du roi

Philippe Goddin malmène aussi la légende qui court sur les origines familiales d’Hergé : “Le fantôme du roi Léopold II était présent dans la famille. C’est ce qui sous-tend Le Secret de la Licorne et Le Trésor de Rackham le Rouge, cette généalogie du capitaine Haddock qui ferait de son ancêtre un bâtard de Louis XIV”.

Philippe Goddin et Hervé Springael [1] ont mené l’enquête : “Nous en avons tiré une forte présomption quant à l’identité de celui qui serait le géniteur des jumeaux Paul et Alexis, le père et l’oncle de Georges Remi”.

Au terme de cet ouvrage colossal, Philippe Goddin avoue “ne pas avoir le sentiment d’avoir tout dit”. Mais peut-on tout dire sur un être humain ?

En tous cas, il livre un ouvrage dont la lecture est indispensable pour qui veut connaître un peu mieux ce grand créateur du XXe siècle dans son épaisseur humaine.

“J’ai été chercher un Hergé sincère” confie Philippe Goddin.


[1Auteur de Avant Tintin.