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Très jeune reporter
A 12 ans Hervé interviewait Hergé pour les radios francophones
Dans une lettre à Tintin il raconte l’impressionnante rencontre
lundi 19 avril 2021, par
En 1962, micro en main, Hervé Guillemot réalise sa première interview. Hervé, qui fera une belle carrière à la radio, est alors âgé de 12 ans.
Son interlocuteur n’est pas le premier venu puisqu’il s’agit de Hergé. L’entretien, qui se déroule avenue Louise à Bruxelles, dans les studios du créateur de Tintin, sera diffusé sur les ondes des radios francophones.
En fait, c’est Pierre Guillemot, son père, qui lui a mis le pied à l’étrier, ou plutôt le micro du Nagra à la main. Pierre Guillemot est depuis deux ans responsable du bureau de l’Agence centrale de presse (ACP) auprès des instances européennes à Bruxelles et correspondant de plusieurs radios francophones ainsi que de journaux britanniques.
Quand il obtient de Hergé un rendez-vous, il se dit que le créateur de Tintin ne pourrait avoir plus frais interlocuteur qu’un jeune garçon passionné par les aventures du célèbre reporter.
Père et fils préparent ensemble l’entretien qui sera ensuite diffusé sur les radios publiques francophones. Malgré des recherches obstinées, Hervé n’en a, hélas, pas retrouvé traces.
Le séjour des Guillemot à Bruxelles s’achève en 1964 quand Pierre est nommé rédacteur en chef du bureau de l’ACP à Paris. Ils quittent l’appartement de la capitale belge pour s’installer à Saint-Pierre-les-Nemours, en Seine-et-Marne. La maison familiale dispose d’un grand jardin ; il est désormais possible d’accueillir un chien dans de bonnes conditions. Ce sera Cliff. Bien sûr, un fox-terrier...
L’association Les 7 Soleils est honorée de compter un tel reporter parmi ses membres !
Lettre à Tintin
Mon cher Tintin,
cela fait un bon bout de temps que l’idée de t’envoyer un petit mot me trotte dans la tête ! Pour être franc cela fait pratiquement une demi-douzaine de décennies ! Comme tu le vois, je suis un indécrottable procrastinateur ! Et puis surtout je n’étais pas bien certain de l’intérêt, pour toi, de mon courrier !
Mais voilà, chemin faisant, Chemin aidant, je prends enfin ma plume pour te raconter, à la lumière des Sept Soleils, ma toute première interview ! C’est en effet à la fois au compagnon de tant de lectures de jeunesse et au confrère que je m’adresse. Fils de journaliste, j’ai probablement suivi tout naturellement la voie professionnelle de mon père, mais peut-être TON père y a-t-il été aussi pour quelque chose ! Je m’explique !
1960. Bruxelles, où mon père est en poste. J’ai dix ans. Pas de billes dans mes poches, mais après une enfance marocaine, je m’adapte et découvre un monde nouveau : la grande ville, la froidure de l’hiver, le tramway (le 22), l’Atomium, mes premiers escaliers roulants, les tout premiers succès d’Adamo, tandis que je chante la Brabançonne à la fête du lycée français proche de la gare du Midi et que je me gave de wafe ou gaufre au sucre, de moules et caricoles, de massepain à la Saint Nicolas, de waterzooi ou de haché américain, etc... et surtout, surtout, je me gave de bandes dessinées ! Comme il se doit, à mon jeune âge, je suis abonné à ton Journal !
1962. Tu as déjà une bonne vingtaine de reportages-aventures à ton actif et tu rentres tout juste du Tibet, si je ne m’abuse. C’est alors que mon père me réserve une sacrée surprise : il me propose d’aller faire l’interview de ton père !
Jour J. Mai-juin, me semble-t-il, avenue Louise, peut-être déjà. Ma mémoire me fait un peu défaut.
Je n’en mène pas large. Je me retrouve là, dans un beau bureau, sobre et bien rangé, tout penaud, assis entre nos pères, amusés et souriants. Les formules de politesse passées, je me souviens de la première question, chaleureuse – de ton père : "Alors, Hervé, que veux-tu savoir ?". Bon, tu t’en doutes, du haut de mes douze ans, je me contente de suivre le déroulé de l’entretien soigneusement préparé par mon père, réduit au rôle de "porte-micro" (de Nagra) !
Une petite rafale de questions, classiques, un jeu auquel se prête aimablement ton père tout aussi classiquement : à lui l’essentiel du scénario, de l’écriture, du découpage et bien sûr des dessins des personnages principaux, à ses collaborateurs le reste, les décors, accessoires et autres éléments des images.
Après une rapide visite des bureaux des dessinateurs en plein travail, c’est l’heure de partir. Ton père nous raccompagne, et d’une franche poignée de main, le regard malicieux et le sourire bienveillant, me souhaite bonne chance ! "Au revoir, Monsieur Hergé, merci !".
Puis la vie reprend son cours, ma vie de collégien, avec dans un coin de ma tête quelques belles étoiles, moins mystérieuses ! – en guise de souvenir de cette belle rencontre. Je n’ai hélas aujourd’hui pas de trace de l’enregistrement de l’époque, mais un autre souvenir ne m’a jamais quitté : en effet, ma petite histoire n’est pas finie !
Décembre 1962. C’est au tour de ton père de me réserver une sacrée surprise : en l’occurrence un courrier à mon nom contenant une superbe carte de vœux ! Oui, souviens-toi, cher Tintin, vos vœux pour l’année 1963 : À Klow, Chapelle du château de Kropow. Mosaïque dite "À la colombe". Art byzantin du VIe siècle ! Milou te regarde, portant en offrande une colombe, et à ta suite, le capitaine Haddock, le professeur Tournesol, les Dupondt et en arrière-plan Nestor ! Une carte signée de la main de ton père.
Quel cadeau pour mon premier courrier personnel ! Aujourd’hui encore, encadrée par mon père, votre carte de vœux est accrochée au mur, à côté de ma table de chevet.
Voilà, cher Tintin, petite anecdote mais grand souvenir pour moi, que je suis heureux de partager enfin avec toi. J’y ajouterai juste un dernier clin d’œil : une brève rencontre, chaleureuse elle aussi, avec Jean-Pierre Talbot à ton double cinématographique "dans un restaurant de la Grand-Place, peu avant notre départ définitif de Belgique".
À très bientôt,
car je vais profiter de cette correspondance pour me replonger une fois de plus dans l’une de tes aventures, probablement L’Île noire – j’ai un penchant pour l’Écosse – et si tu les croises, transmets mes amitiés à Quick et Flupke, Jo, Zette et Jocko !
Confraternellement,
Hervé
En parallèle à son métier de journaliste, Pierre Guillemot, le père de Hervé, a mené, sous le pseudonyme de Pierre Nemours, une prolifique carrière d’écrivain. Traducteur de plusieurs romans policiers anglo-saxons, il publie en 1963 son premier roman d’espionnage au Fleuve noir. Plus d’une centaine suivront, dont en 1970 Yung Ho s’est mis à table, lauréat des Palmes d’or du roman d’espionnage. Pierre Guillemot est décédé en 1982.