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Il y a 75 ans dans Le Soir volé
Quand Jam caricaturait l’opération Chariot
mardi 28 mars 2017, par
Dans la nuit du 27 au 28 mars 1942 Saint-Nazaire était l’objet d’un des raids les plus audacieux de la seconde guerre mondiale : un commando britannique rendait inutilisable la forme Joubert, seule sur la côte atlantique capable d’accueillir le cuirassé Tirpitz.
Quelques jours plus tard, en "une" du grand quotidien belge Le Soir, le caricaturiste Jam ironisait sur l’expédition présentée par la propagande allemande comme un échec.
L’opération fut en réalité un succès, succès dont Hitler eut connaissance tardivement, ce qui le mit dans une colère noire.
À 1h34 du matin, le destroyer Campbeltown s’encastrait dans la porte de la forme-écluse tandis que les 269 membres du commando britannique débarquaient des vedettes qui l’avaient accompagné et parvenaient à saboter la station de pompage de la forme et plusieurs treuils d’ouverture de l’écluse.
Mais le raid fut meurtrier : sur les 611 marins et commandos de l’expédition, seulement 224 parvinrent à regagner l’Angleterre.
La forme Joubert était la seule sur la côte atlantique en capacité d’accueillir le redoutable cuirassé allemand. Le Tirpitz dut renoncer à ajouter sa puissance de feu à celle des navires et sous-marins allemands qui visaient les bateaux ravitaillant la Grande-Bretagne.
Propagande
Avec sa caricature réduisant le raid au spectacle de deux piteux rescapés accueillis sur une plage anglaise par Churchill lui-même, Jam se mettait au diapason de la propagande allemande. Rien d’étonnant puisque Le Soir, qui avait cessé toute publication le 18 mai 1940 alors que la Belgique était envahie, paraissait désormais sous contrôle allemand.
Paul Jamin, dit Jam, rejoignait la rédaction du quotidien que les Belges surnommeront bientôt Le Soir volé, avec d’autant moins de retenue qu’il allait aussi fournir en caricature le Brüsseler Zeitung, le quotidien de l’Occupant.
Pour sa part, Hergé entre au Soir volé le 15 octobre 1940 à l’invitation de Raymond de Becker, le chef des services rédactionnels, qui veut enrichir le quotidien d’un supplément hebdomadaire pour la jeunesse.
Hergé voit tout l’intérêt, en termes de notoriété, que son héros peut tirer de cette proposition : quand le Vingtième Siècle, le quotidien qui a vu naître Tintin, a cessé de paraître avec l’entrée de l’armée allemande en Belgique, il ne tirait plus qu’à 15 000 exemplaires. Quand Hergé arrive au Soir, le tirage de celui-ci dépasse les 300 000 exemplaires !
Prenant, sans autre forme de procès, le relais du Petit Vingtième, le premier numéro du Soir Jeunesse annonce tout bonnement : Tintin et Milou sont revenus !
Baptême de l’air
Hergé retrouve au Soir Jacques Van Melkebeke, dont il a fait récemment connaissance et qui, par la suite, apportera des idées de scénario pour les aventures de Tintin, ainsi que Paul Jamin.
Car Hergé et Jamin ont déjà fait un bout de route ensemble. Présenté à Hergé par son frère Paul, Jamin était entré au Petit Vingtième en mai 1930, d’abord comme homme à tout faire puis bientôt comme illustrateur et éditorialiste. Il avait accompagné Hergé en avril 1931 à la fête organisée à Paris par Coeurs Vaillants, l’hebdomadaire catholique qui publie en France les aventures de Tintin. Ce voyage fut leur baptême de l’air. Hergé en rapporta une planche originale de Zig et Puce offerte par Alain Saint-Ogan qu’il avait rencontré et qu’il admirait.
L’itinéraire professionnel d’Hergé et de Jam diverge momentanément en mai 1936 quand celui-ci rejoint Le Pays réel, le journal que vient de créer Léon Degrelle, le fondateur du mouvement rexiste.
Liberté
Hergé et Jam se retrouvent donc à l’automne 1940 au Soir volé, plus précisément au Soir Jeunesse. Le journal étant soumis au contrôle de l’Occupant, il n’est plus question pour Hergé de s’inspirer de l’actualité comme il l’a fait jusque-là. Il décide alors d’envoyer Tintin sur la mer, espace mythique de la liberté. Or, sur la mer, on s’expose à rencontrer des marins – et là, pas n’importe lequel : Haddock – et même des inventeurs de sous-marin...
Quand, en septembre 1944, Bruxelles est libérée par les Alliés, Paul Jamin s’enfuit avec sa famille en Allemagne. Pour ses dessins dans Le Pays réel et le Brüsseler Zeitung, il sera condamné à mort par contumace. Sa peine sera commuée en détention à perpétuité. Libéré au début des années 50, il poursuivra sa carrière de caricaturiste sous le pseudonyme d’Alidor.