Les 7 Soleils

"Et puis, pensez donc : Saint-Nazaire, le port, les quais, l’océan, le vent du large, les embruns qui vous fouettent le visage..."
Archibald Haddock - Les 7 Boules de Cristal

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Il y a 80 ans

Tintin tombait sur le capitaine Haddock

lundi 11 janvier 2021, par Jean-Claude Chemin

Le 9 janvier 1941, dans les colonnes du Soir Jeunesse, Tintin tombe littéralement sur le capitaine Haddock.
Cette rencontre va changer sa vie et le cours de ses aventures.

Une boîte de conserve dénichée par Milou dans une poubelle : l’objet est bien trivial qui conduit Tintin à bord du cargo Karaboudjan. Séquestré dans la soute du bateau, le jeune reporter découvre ce que contiennent ces boîtes qui composent la cargaison du bateau : au lieu de crabe, de l’opium !

Alors qu’il tente de s’évader, Tintin tombe littéralement sur le capitaine du navire, un ivrogne au dernier degré, entretenu dans son vice par son second, lequel met à profit son appétence pour le whisky pour orchestrer un trafic illicite.

Il faudra attendre la dernière séquence du Crabe aux Pinces d’Or, séquence qui se joue dans le port marocain imaginaire de Bagghar, pour apprendre le nom de ce capitaine : Haddock. Son prénom, Archibald, ne nous sera livré par Hergé qu’avec Les Picaros, le dernier album des aventures achevées de Tintin.

Avec Le Crabe aux Pinces d’Or débute le cycle maritime des aventures de Tintin. La première planche de cette neuvième histoire est publiée le 17 octobre 1940 dans le premier numéro du Soir Jeunesse, le supplément hebdomadaire au grand quotidien belge Le Soir.

Parade
Tintin est en fait un transfuge du Petit Vingtième, le supplément pour la jeunesse d’un autre quotidien bruxellois, Le Vingtième Siècle, dans lequel, le 10 janvier 1929, étaient parues les "photos rigoureusement authentiques" de son premier reportage, au pays des Soviets. Le Petit Vingtième allait accueillir huit autres aventures du jeune reporter et les débuts de L’Or noir, récit interrompu par l’entrée, le 8 mai 1940, de l’armée allemande en Belgique. Le Vingtième Siècle décide alors de cesser de paraître.

En juillet, le roi des Belges appelle ses sujets à reprendre leurs activités. Hergé, qui s’était réfugié en France, rentre à Bruxelles. Le Soir lui propose de poursuivre le récit des aventures de Tintin dans ses colonnes. La proposition est tentante : Le Soir tire à plus de 300 000 exemplaires alors que Le Vingtième Siècle plafonnait à 15 000 au moment de sa disparition.

Mais il y a un "mais", et de taille : Le Soir – Le Soir volé, comme l’appelleront les Belges – est passé sous le contrôle de l’occupant allemand et soumis à la censure de la Propagandastaffel. Dès lors, il n’est plus question pour Hergé de trouver son inspiration dans l’actualité dont se sont nourries jusqu’ici les aventures de Tintin. Sauf, sinon, à accepter de se soumettre à la vision qu’en a l’occupant.

Hergé trouve la parade : sortir son héros des péripéties du temps présent et l’envoyer dans cet espace chéri par l’homme libre, cher au poète : la mer. Il s’agit certes d’une mer mythifiée qui baigne, dans l’entre-deux-guerres, les poèmes de Carco, les chansons de Mac Orlan, les romans de Cendrars, le cinéma de Carné... Alors que, dans la réalité, cette mer des années quarante partage le sort funeste que connaissent les continents.

Indéfectible ami

Aller sur la mer, c’est évidemment s’exposer à croiser des marins, voire même des inventeurs de sous-marins. C’est ainsi que Tintin va rencontrer celui qui deviendra son indéfectible ami et l’un des plus fameux marins de la littérature : le capitaine Haddock, et un bricoleur obstiné et génial : le professeur Tournesol.

Le Haddock que côtoie Tintin au cours de cette première aventure commune – le capitaine sera de toutes les suivantes – est rien moins que ragoutant. "Au début, il n’est pas du tout sympathique. C’est un ivrogne, esclave de son vice : une vraie loque" convient Hergé.

Tintin arrache Haddock au cargo maudit. Il est mal payé de retour ; il fait les frais du comportement dévastateur du marin en manque. Rendu fou par le sevrage forcé, Haddock met à plusieurs reprises en danger la vie de son sauveur. Mais la traversée du pays de la soif aura valeur d’épreuve initiatique : ainsi naîtra entre le reporter et le marin une amitié qui ne faillira jamais.

Tintin découvre un homme tempétueux, aux ardentes colères, écumant d’injures et de jurons. Cependant, il ne lui en tient pas rigueur. Mieux, il lui donne l’opportunité de la rédemption en lui confiant la barre de L’Aurore, le baleinier armé par le FERS (Fond européen de recherches scientifiques) afin de localiser l’étoile mystérieuse, l’aérolithe tombé dans les mers arctiques.

Et, gage de cette amitié partagée, Tintin, flânant au Vieux Marché, chine, afin de l’offrir au capitaine, un modèle de trois mâts qui s’avérera être celui de La Licorne, vaisseau commandé par le chevalier de Hadoque, son ancêtre. Ainsi s’enclenche une nouvelle aventure qui verra l’entrée dans la saga tintinesque d’un scientifique ingénieux : Tryphon Tournesol.

Bonheur champêtre
"Pas plus que la Castafiore, je n’aurai cru qu’il allait jouer un rôle de premier plan ; il m’a entraîné, presque de force. Il s’est imposé" avoue Hergé dans son entretien avec Numa Sadoul. De fait, Tintin ne sera plus le pivot de ses aventures. Cette fonction sera tenue par ses proches comparses : Haddock, Tournesol, Tchang – qu’il retrouve –, la Castafiore... Hergé édifie ainsi sa comédie humaine dans laquelle, d’un épisode à l’autre, ses personnages reviennent, y compris les seconds rôles.

Pétri dans la pâte humaine, Haddock vient avec bonheur donner la réplique à un Tintin dont Hergé convient que "nul être humain n’est parfait à ce point". Pour paraphraser La Bruyère comparant les visions des hommes chez Corneille et Racine, on pourrait dire qu’à travers Haddock, Hergé dépeint l’homme tel qu’il est et, à travers Tintin, l’homme tel qu’il devrait être... Haddock est humain avec sa part d’ombre, ses défauts, et aussi cette générosité, cette amitié qui le poussera jusqu’à vouloir, dans Tintin au Tibet, sacrifier sa vie afin de sauver celle de Tintin.

À l’issue du Trésor de Rackham le Rouge, l’album qui clôt le cycle des aventures maritimes, la situation personnelle de Tintin a radicalement changé. Le jeune reporter, né de parents inconnus, a trouvé dans Haddock et Tournesol une famille de substitution. Et cette famille dispose désormais d’un toit on ne peut plus confortable. Tintin ne résiste pas à l’envie d’y rejoindre ses amis et goûter avec eux le bonheur champêtre et cossu du château de Moulinsart. Désormais, il faudra des raisons impérieuses pour les en déloger et les remettre sur le chemin de l’aventure...

Haddock à Nantes et à Saint-Nazaire

On le sait, le capitaine Haddock est venu à Saint-Nazaire, accompagné de Tintin et de Milou. Hergé en atteste dans Les 7 Boules de Cristal.

Un homonyme, lui aussi marin de son état, le précéda dans l’estuaire de la Loire. Un certain capitaine William Haddock fut en effet, en qualité de requérant, au cœur d’une sommation faite par l’huissier au tribunal civil de Nantes le 16 frimaire an VIII (7 novembre 1799). Il commandait le navire danois Anna, capturé par le corsaire La Julie, armateur Félix Vossin.

La marine anglaise a compté plusieurs Haddock, dont deux amiraux contemporains ou presque du chevalier de Hadoque : un Richard Haddock (1629-1714) et un Nicolas Haddock (1686-1746).

Plus près de nous, c’est un certain Herbert James Haddock qui reçut le commandement de l’Olympic, livré en 1911 à la White Star Line, dont le Titanic, mis en ligne l’année suivante, était le sister-ship amélioré. Herbert James Haddock était aux commandes de l’Olympic le 14 avril 1912 quand ses radiotélégraphistes reçurent le message de détresse du paquebot présumé insubmersible.


Les visuels illustrant l’article sont ©Hergé-Moulinsart