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L’extraordinaire destin de Percy Fawcett

L’homme qui inspira à Hergé le personnage de l’explorateur Ridgewell

Sa vie est au centre du dernier film de James Gray

mercredi 22 mars 2017, par Ricardo Uztarroz

 Qui se cache derrière Ridgewell ? L’explorateur qui, dans l’Oreille Cassée, a préféré rester parmi les indiens Arumbayas plutôt que de retrouver la civilisation, a été inspiré à Hergé par le destin de Percy Harrisson Fawcett.
 Auteur du livre Amazonie mangeuse d’hommes, incroyables aventures dans l’enfer vert (Arthaud - 2008) Ricardo Uztarroz nous raconte son histoire.

©Hergé/Moulinsar

Publication du 19/05/2009
Au terme d’une minutieuse et rigoureuse enquête, après avoir déjoué quelques insidieux traquenards, esquivé mille et un périls, mis à jour de sordides complots ourdis par une mystérieuse organisation aux intérêts occultes, deux détectives privés, MM. Richard Ruz et Ursule Zur, de l’Office helvétique de recherche des personnages fictifs fugueurs (OHRFF) [1], ont fini par démasquer tout récemment l’explorateur se faisant appeler Ridgewell.

Selon eux, sa véritable identité est Percival, dit Percy, Harrison Fawcett, ancien colonel artilleur de l’Armée des Indes, disparu en 1925, à l’âge de 57 ans, en compagnie de son fils aîné Jack et un ami de ce dernier Raleigh Rimmel, tous les deux âgés de 22 ans, en Amazonie brésilienne, au nord de l’Etat du Matto Grosso.

Les trois étaient partis, seuls, sans le moindre guide autochtone, à la découverte d’une présumée mystérieuse et inconnue cité, vestige, croyaient-ils, d’une civilisation avancée créée par les survivants de l’Atlantide qui aurait à son tour disparu.

Ridgewell, l’explorateur ?

Le personnage de Ridgewell apparaît dans L’Oreille Cassée à la page 48. Tintin qui descendait le Badurayal à la rencontre des Arumbayas, les plus féroces Indiens de toute l’Amérique du Sud, vient d’échapper de justesse, avec son indéfectible Milou, à un naufrage. Pris dans les remous d’un rapide, ils ont été tous les deux éjectés de leur pirogue quand celle-ci a heurté violemment un rocher.

Une fois sur la berge, au milieu d’un décor de forêt tropicale qui ne peut qu’être l’Amazonie, Tintin se sent épié. Soudain une fléchette se fiche dans le tronc d’un arbre à la hauteur de son visage. C’est alors que surgit de derrière les broussailles un homme blanc, longue chevelure et barbe de neige, armé d’une sarbacane mais vétu à l’européenne, chemise rouge élimée et pantalon noir presque en loques, qui se présente à lui :
 Mon nom est Ridgewell
 Ridgewell ? L’explorateur ? Mais tout le monde vous croit mort ! s’exclame Tintin.

Ridgewell lui explique alors qu’il a décidé de ne plus jamais retourner dans le monde civilisé.

So british

"Je suis ici heureux parmi les Arumbayas dont je partage la vie...", souligne-t-il. Et, de leur cîté, les Arumbayas partagent avec lui le goût ’so british’ du golf dont il leur a inculqué les principaux rudiments. Ce qui prouve que la rencontre entre deux cultures ne se traduit pas forcément par un choc de civilisations, comme le prétend une théorie actuelle très en vogue chez les néo-cons américains.

Pour ce personnage, Hergé s’est à coup sûr inspiré de Percy Fawcett, dont le mystère de la disparition avait défrayé la chronique à l’époque. Mais il ne fut pas le seul, loin s’en faut (lire La vie de Percy Fawcett a séduit plus d’un créateur).

Toutefois à Hergé, encore une fois précurseur dans son domaine, revient le mérite d’avoir fait de Percy Fawcett un personnage romanesque, ouvrant ainsi la voie à une veine qui ne semble pas sur le point de s’épuiser.

Par ailleurs, il n’est pas à exclure que Hergé ait emprunté le nom de Ridgewell à un dessinateur humoristique anglais, collaborateur du défunt et célèbre, voire mythique, hebdomadaire Punch, William Ridgewell, qui mourut en 1937, année précisément de la publication de L’Oreille Cassée.

Espionnage

Rien ne pr�destinait Percy Fawcett � cette posthume gloire litt�raire. N� le 31 ao�t 1867, � Torquay (Devon), dans une famille de la gentry anglaise, il est pour une raison inconnue le mal-aim� des cinq enfants. Son p�re est un dandy alcoolique, ami du prince de Galles, membre de la Soci�t� royale de g�ographie, qui mourra � 45 ans de cirrhose. Sa m�re, d’origine �cossaise, est une femme fantasque et impr�gn�e de mysticisme celtique. Comme elle adore l’uniforme des artilleurs de l’arm�e britannique, Percy est envoy� � l’�cole de ce corps militaire de Woolwich � Londres.

Quand il en sort avec le grade d’officier, il est affect� � la garnison de Trincomalay, un port de la c�te nord-est de Ceylan (Sri Lanka), en territoire tamoul. C’est l� qu’il fait la connaissance de sa femme Nina, fille d’un juge d’origine �cossaise. Le couple a son premier enfant, Jack. Sans doute � l’instigation de sa femme qui en �tait une adepte, Percy Fawcett s’initie � l’occultisme, tr�s en vogue en ce temps-l�.

Puis, de garnison en garnison, lui et sa petite famille vont se retrouver � Malte, o�, comme tout officier britannique, il accomplira quelques missions d’espionnage en Afrique du Nord, � Hong Kong, puis de nouveau Ceylan, en Irlande (toujours sous domination anglaise), puis finalement � Londres.

La fronti�re

Comme il a acquis entretemps une formation de g�om�tre arpenteur, il est envoy� en 1906, dans le cadre d’un contrat de coop�ration, en Bolivie, pour tracer en pleine jungle amazonienne la fronti�re entre ce pays et le Br�sil. Sa mission durera huit ans, entrecoup�e de courts s�jours en Angleterre. La fronti�re actuelle, c’est celle qu’il a �tablie, ce qui montre le s�rieux et la pr�cision de son travail.

Pendant ce long s�jour bolivien au cours duquel il monte cinq exp�ditions en Amazonie, il d�couvre un univers qui le fascine aussit�t, l’intrigue, et nourrit son penchant � l’occultiste. Il se persuade qu’au c�ur de cette touffeur a tr�s certainement exist� une myst�rieuse civilisation.

Quand en 1914 �clate la premi�re guerre mondiale, il est rappel� et envoy� au front o� il gagne ses galons de colonel. A la fin des hostilit�s, il est d�mobilis� et mis � la retraite.

Au vu du d�sastre que fut ce conflit, il est convaincu que le Vieux continent est fini, que l’avenir est ailleurs, en Am�rique du Sud. Il part au Br�sil pour s’y installer mais, aussi, avec le projet secret de d�couvrir des traces de cette civilisation inconnue.

Le manuscrit 512

Un jour alors qu’il consulte les archives sur la conqu�te du Br�sil � la biblioth�que nationale de Rio de Janeiro, � l’�poque capitale du pays, il tombe sur un �trange document qu’il mentionne par la suite comme le �manuscrit 512�, ce dernier chiffre �tant probablement sa cote de rangement.

Il s’agit du r�cit d’une exp�dition partie en 1743 � la recherche d’une mine mythique, la mine Muribeca, quelque part dans une r�gion ind�termin�e entre le Sertao (r�gion aride � la v�g�tation rabougrie) du nord-est br�silien et l’Amazonie. Il est fait mention qu’au lieu d’avoir d�couvert la mine, l’exp�dition a trouv�, au milieu d’une vaste plaine, une ville abandonn�e aux b�timents cyclop�ens. Sa localisation n’est pas pr�cis�e.

Percy Fawcett est convaincu qu’il tient entre ses mains la preuve de son intuition. Apr�s bien des fins de non-recevoir, il finit par convaincre en 1924 un groupement de journaux am�ricains, la North American Newspapers Alliance (NANA), de financer son exp�dition en �change de l’exclusivit� de son r�cit.

Camp du Cheval mort

Les trois hommes arrivent en janvier 1925 � Rio de Janeiro. Afin qu’on ne lui vole pas le m�rite de sa d�couverte, Percy Fawcett a opt� pour une exp�dition r�duite � son fils et � son ami.

Le 20 avril, � cheval et avec quatre mules pour transporter leur mat�riel, ils quittent discr�tement Cu�aba, capitale de l’Etat de Matto Grosso, et prennent par une piste la direction du Nord, en route vers l’Amazonie, une r�gion quasiment inexplor�e. Le 16 mai, ils arrivent � Bakairy, le dernier poste avant le territoire indien. Le 19, Jack f�te son 22e anniversaire.

Neuf jours plus tard, ils atteignent le lieu qui sera leur dernier campement connu. Percy Fawcett l’a baptis� �camp du Cheval mort�, en souvenir d’une pr�c�dente tentative d’exp�dition qui fut un cuisant �chec. C’est l� que son cheval �tait mort d’inanition ce qui l’incita � renoncer.

Les derni�res nouvelles qu’on a d’eux, c’est l’ultime message qui est parvenu � son �pouse � Londres dat� : � Camp du Cheval mort, 29 mai 1925 �. Il lui disait : � Vous n’avez � craindre aucun �chec... � On ne saura plus rien d’eux.

Le plus probable est qu’une tribu indienne ait tu� ces trois intrus. Apparemment, aucun blanc ne s’�tait aventur� dans cette r�gion du Br�sil avant eux.

Intra-terrestres

Les exp�ditions pour les retrouver vont se succ�der, toutes en vain. Certaines vont � leur tour dispara�tre contribuant au myst�re. Les th�ories les plus farfelues expliquant la disparition de Percy Fawcett et de ses deux jeunes compagnons vont �tre avanc�es, comme celle, que soutiennent les adeptes d’�sot�risme, qui pr�tend que Percy Fawcett a rejoint les intra-terrestres, une civilisation qui vit sous la terre.

Ces intra-terrestres seraient des m�tis d’extra-terrestres et de survivants de l’Atlantide. Leur territoire cacherait une base secr�te (forc�ment) de soucoupes volantes. Pourquoi pas tant qu’on y est !

Puis en 2004, un r�alisateur de t�l�vision anglais, Miska Williams, qui a eu acc�s pour la premi�re fois aux archives familiales a fait rebondir le myst�re. Contrairement, � ce qu’il pr�tendait, Percy Fawcett n’�tait pas parti rechercher les vestiges d’une civilisation disparue, mais en fonder une sur la base des pr�ceptes de la doctrine �sot�rique.

Son fils, dont il �tait convaincu qu’il �tait pr�destin�, en aurait �t� le grand gourou. La recherche de la cit� inconnue n’aurait �t� en r�alit� qu’un subterfuge.

Point Z

Une pol�mique sur le v�ritable but que s’�tait fix� Percy Fawcett risque fort d’�clater tr�s prochainement. L’acteur Brad Pitt, par l’interm�diaire de sa soci�t� Plan B, a achet� les droits d’adaptation cin�matographique d’un livre en cours d’�criture du journaliste �crivain Dave Grann. Le titre en est The lost city of Z, et le sous-titre, A tale of deadly obsession in the Amazon (La cit� perdue de Z, un conte d’une obsession mortelle en Amazonie), publi� chez Doubleday. Dans tous ses �crits, Percy Fawcett d�signe par Point Z la cit� inconnue afin d’en pr�server le secret, une obsession chez lui.

L’acteur am�ricain va tenir le r�le de l’explorateur disparu. Le livre est le d�veloppement d’un long article publi� en septembre 2005 dans The New Yorker.

Semble-t-il, Dave Grann ferait l’impasse sur l’hypoth�se de Miska Willians qui ne manque pas pourtant de cr�dibilit� et qui, si elle confirmait changerait, du tout au tout l’image de Percy Fawcett.

Quoi qu’il en soit, il n’en reste pas moins que Percy Fawcett, m�me s’il n’a rien d�couvert, m�me s’il s’av�re qu’il n’�tait en r�alit� qu’un illumin�, fait partie de la grande lign�e des explorateurs tels que Jules Crevaux, Brazza, Livingstone, Mungo Park, pour n’en citer que quelques uns.

On peut m�me consid�rer que sa disparition cl�t l’�re des explorations. Le temps des ethnologues et/ou des anthropologues �tait venu.

Auteur de Amazonie mangeuse d’hommes, incroyables aventures dans l’enfer vert (Arthaud -2008) et de La véritable histoire de Robinson Crusoé et l’île des marins abandonnés (Arthaud 2006), Ricardo Uztarroz avait animé une soirée organisée par Les 7 Soleils le 6 mars 2008 à la librairie La Voix au Chapitre à Saint-Nazaire. R. Uztarroz a suivi ses études secondaires au lycée Artistide Briand de Saint-Nazaire. Journaliste à Presse-Océan, puis à Libération et à l’AFP, il a terminé sa carrière comme directeur du bureau de l’AFP de Lima
©Hergé/Moulinsar

 Pour en savoir plus sur Percy Fawcett, on se reportera au premier chapitre de Amazonie mangeuse d’hommes, intitulé : L’aventure post mortem du vrai Indiana Jones.


[1Bien entendu, et à toutes fins utiles, l’auteur de l’article tient à préciser que cette officine n’est qu’une fiction, tout comme les deux détectives.