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En Roumanie

Pif le rival international de Milou

mercredi 8 août 2007, par Henri Gillet

Dans la Roumanie de Ceaușescu, le célèbre chien du dessinateur franco-espagnol Arnal apportait un parfum de liberté et a suscité de nombreuses vocations.

« Tous les jeudis, je guettais le facteur comme l’archange Gabriel. Je savais qu’il allait m’apporter mon Pif... Avec trois mois de retard sur la France, mais cela n’avait pas d’importance. Il fallait que je le lise vite, car les copains l’attendaient ».

Dodo Nita était un privilégié. Pour s’abonner au seul hebdomadaire de BD étranger mis en vente dans le pays, il fallait du piston : seulement 10 000 exemplaires étaient diffusés en Roumanie, par la poste... et son père était justement postier.

Qui plus est, la célèbre revue éditée par les éditions Vaillant, une maison d’édition chapeautée par le Parti communiste français - sans aucun contenu idéologique car il s’agissait avant tout de gagner de l’argent - était imprimée dans sa ville natale, Craiova, par souci d’économie... Déjà la délocalisation et tant pis, s’il s’agissait là d’une entorse aux principes affichés par Georges Marchais et la CGT qui réclamaient alors, haut et fort, le rapatriement en France des travaux faits à l’étranger.

Qu’importe ! Depuis l’âge de onze ans, Dodo dévorait chaque semaine son « Pif ». Il y avait appris le français. Son premier numéro, le gamin avait mis six heures à le lire, dictionnaire à portée de main. Plus tard, il ne lui faudra plus que vingt minutes.

Magique

Sa revue avait un côté magique : papier et impression étaient d’une qualité incomparable par rapport aux publications roumaines, elle venait de l’autre côté du « Rideau de fer » et avait ce parfum de fruit défendu que représentait la liberté... un cadeau du Parti communiste français !

Quant au fameux gadget que Pif s’était adjoint et lui avait fait dépasser le seuil du million d’exemplaires, au début des années 1970, il lui paraissait comme une innovation inimaginable.

Le succès phénoménal de Pif, arrivé en Roumanie en 1967, s’explique aussi par la prééminence du français qui était demeurée la principale langue étrangère apprise dans le pays, en dehors du russe dont l’apprentissage était fortement conseillé, et qui représentait l’aspiration à liberté face à l’oppresseur.

Nostalgie

La déception ne fut que plus grande quand le régime Ceaușescu sombra dans le délire. Voulant se débarrasser de ses dettes et avoir les mains libres, le dictateur réduisit au minimum les importations qu’il fallait payer en devises, et Pif passa à la trappe, au début des années 1980.

Pif ne réapparaîtra qu’après la « Révolution », pour peu de temps, car la publication cessera en 1992, à la mort de son créateur. Une théorie court d’ailleurs, disant que c’est la chute du « Mur de Berlin » qui lui a été fatale, en lui faisant perdre tous ses lecteurs qu’il avait à l’Est...

Mais la nostalgie de Pif le chien et de son ami Hercule le chat est si grande en Roumanie, qu’il s’agit du seul pays où une réédition de leurs aventures - en langue roumaine - ait été entreprise. Quant aux collectionneurs, ils peuvent trouver des piles d’albums dans les « anticariat » ou magasins de vieux livres.


Article paru dans Les Nouvelles de Roumanie n° 21 (janvier 2004)